Lauréate 2025 du prix Pescheteau: Auriane Gotrand
Pour sa troisième édition, le prix SAMNC/Marcel et Paul Pescheteau, a été attribué à Auriane Gotrand pour sa thèse :
Peinture, Vitrail, Critique d’Art, le parcours d’un « artiste chrétien » – Claudius Lavergne (Lyon 1815-Paris 1887)
Le jury a particulièrement apprécié l’immense travail de documentation, d’illustration et de contextualisation réalisé sur cet artiste célèbre en son temps.
LE PARCOURS D’AURIANE GOTRAND
Les travaux de recherche d’Auriane Gotrand portent sur l’art du XIX e à nos jours, avec un intérêt marqué pour le vitrail. Pendant plus de cinq ans, elle a fait partie de l’équipe de recherche du Catalogue raisonné de l’œuvre peint de Maurice Denis (à paraître aux éditions Flammarion), sous la direction de la petite-fille de l’artiste, Claire Denis, et de Fabienne Stahl.
Membre du Corpus vitrearum depuis 2017, elle a participé à de nombreuses manifestations scientifiques consacrées au vitrail et publié plusieurs contributions sur ce sujet. Sous la supervision d’Anne-Laure Carré, elle a pris part en mai 2025 à l’inventaire et l’analyse des vitraux conservés dans les réserves du musée des Arts et Métiers (Conservatoire national des arts et métiers).
Elle enseigne également à l’École du Louvre, dans le cadre de travaux dirigés devant les œuvres (TDO), auprès d’élèves de troisième année et d’auditeurs. Elle y assure, entre autres, un cours sur « Le verre aux XIX e et XX e siècles : essor d’un art multiple ».
Auriane Gotrand est actuellement ingénieure de recherche contractuelle au CNRS (Centre André Chastel), où elle participe à la mise à jour du Répertoire des peintres-verriers actifs en France aux XIXe et XXe siècles, sous la direction d’Élisabeth Pillet, dont la publication est prévue sur la base POP du ministère de la Culture.
RÉSUMÉ DE LA THÈSE PRIMÉE
Le 29 septembre 2023, Auriane Gotrand a soutenu à Sorbonne Université une thèse intitulée « Peinture, Vitrail, Critique d’Art, le parcours d’un « artiste chrétien » – Claudius Lavergne (Lyon 1815-Paris 1887) », dirigée par Jean-François Luneau.
La thèse d’Auriane Gotrand a permis de redécouvrir Claudius Lavergne, l’un des nombreux élèves d’Ingres qui contribuèrent au renouveau de la peinture religieuse en France, que Bruno Foucart a remis en lumière dans sa thèse publiée en 1987. Originaire de Lyon, Lavergne fut aussi formé par deux compatriotes, Claude Bonnefond et Victor Orsel.
Claudius Lavergne s’est d’abord illustré par des tableaux religieux et des portraits présentés aux Salons parisiens et lyonnais, avant de se consacrer entièrement au vitrail à partir de 1857.
Malgré l’importance de son atelier, il n’avait fait l’objet d’aucune étude approfondie jusqu’à ce jour. Cette thèse avait pour ambition de dépasser le périmètre de la monographie en retraçant l’itinéraire d’une véritable dynastie d’artistes, l’atelier Lavergne étant resté actif jusqu’aux années 1950.
L’étude du parcours et de l’œuvre de Claudius Lavergne offre un observatoire privilégié sur la vie artistique et religieuse de son temps. Lavergne a en effet développé un réseau de sociabilité essentiel à sa carrière, composé d’importants acteurs du renouveau catholique, tels que Lacordaire, Montalembert ou Étienne Cartier, mais aussi de peintres comme les frères Flandrin, Jean-Baptiste Frénet ou Louis Janmot.
Claudius Lavergne fut non seulement un artiste, mais aussi un critique d’art, ce qui est tout à fait inhabituel à l’époque. En tant que salonnier attitré de L’Univers, journal influent qui comptait 13 000 abonnés en 1860, ses critiques bénéficiaient d’un lectorat non négligeable.
Les mois qu’Auriane Gotrand a consacrés au dépouillement de la presse de l’époque ont permis de repérer 243 articles signés par Lavergne. Un index de plus de 1 180 artistes cités figure en annexe afin de faciliter l’exploitation de cette source par les chercheurs.
Cette thèse s’attache également à interroger ce que signifiait être peintre-verrier au XIX e siècle, à une époque où les frontières entre art, artisanat et industrie étaient particulièrement mouvantes. Claudius Lavergne revendiquait avec force le statut d’ « artiste peintre-verrier » et militait pour une reconnaissance institutionnelle de la profession, notamment à travers la création, en 1877, de la corporation des artistes peintres-verriers de France.
Mais l’examen attentif du fonctionnement de son atelier révèle la difficulté de concilier les exigences d’un art pensé comme expression individuelle et les réalités concrètes de la production verrière : délégation du travail, reproductibilité des cartons, gestion des très nombreuses commandes. Ce travail universitaire éclaire ainsi la manière dont on produisait, percevait et défendait le vitrail au XIX e siècle, entre idéal artistique et contraintes matérielles.
Cette thèse est l’aboutissement d’un projet de recherche amorcé dès le Master I d’Auriane Gotrand.
Face à l’ampleur du sujet et à la richesse des documents inédits qu’elle avait mis au jour auprès des descendants de l’artiste, de collectionneurs, dans les musées et les centres d’archives, la poursuite de ces investigations dans le cadre d’un doctorat s’est imposée à elle comme une évidence.
La reconstitution partielle du fonds d’atelier Lavergne constitue une contribution précieuse pour l’étude du vitrail du XIXᵉ siècle. Elle offre une compréhension renouvelée des pratiques d’atelier, de la conception du carton à la mise en œuvre finale du vitrail.
Le corpus d’œuvres de l’artiste est présenté dans deux catalogues raisonnés : l’un consacré à la peinture et au dessin, l’autre aux vitraux, dans lequel sont répertoriés 277 édifices ornés de verrières conçues par Claudius Lavergne.
L’inventaire iconographique s’appuie sur plus de 500 dessins préparatoires, dont la majorité provient du fonds dispersé de l’atelier. Un soin particulier a été apporté à l’enquête de terrain, fondée sur des campagnes photographiques et des recherches menées par l’auteur dans plusieurs régions françaises, ainsi qu’à Rome et à Genève.
En replaçant le vitrail au cœur des débats esthétiques, techniques et idéologiques du XIX e siècle, cette thèse contribue à une meilleure connaissance – et reconnaissance – de cet art du feu encore trop souvent relégué à la marge de l’histoire de l’art.